La Grande Oie des neiges : migration, chasse printanière et impact sur l’écosystème arctique

Voici un résumé de texte très interessant : Les oies, de l’Île-aux-Oies à l’île Bylot.

Un article de Valérie Levée, journaliste scientifique


Une halte migratoire essentielle le long du Saint-Laurent

Comme une dernière station avant l’autoroute, les Grandes Oies des neiges font halte chaque printemps le long du fleuve Saint-Laurent. Elles y font le plein d’énergie avant de reprendre leur vol vers leurs sites de nidification en Arctique.


Cette halte alimentaire a toutefois des conséquences sur la dynamique de l’écosystème, à des milliers de kilomètres plus au nord.

Pierre Legagneux, professeur en biologie à l’Université Laval et chercheur au CNRS en France, résume les recherches sur la Grande Oie des neiges et sa place dans l’écosystème arctique. Ces travaux sont menés en collaboration avec Gilles Gauthier (Université Laval), Joël Bêty et Dominique Berteaux (UQAR), ainsi que Dominique Fauteux (Musée canadien de la nature).


S’engraisser avant de repartir vers l’Arctique

À la fin du XXe siècle, les oies pouvaient s’alimenter librement sur les rives du Saint-Laurent, la chasse printanière étant interdite. Mais en 1999, le Québec a instauré la chasse au printemps pour réguler une population qui atteignait près d’un million d’individus. Laisser autant d’oies brouter la toundra, qui pousse très lentement, risquait d’entraîner une désertification locale.

En 2009, les États-Unis ont à leur tour libéralisé la chasse, et depuis, la population se maintient autour de 600 000 individus.

La pandémie de COVID-19 a permis d’observer l’effet direct de la chasse sur l’engraissement des oies. Au printemps 2020, avec la chasse interrompue, les chercheurs ont observé que les oies à l’Île-aux-Oies étaient déjà en excellente condition physique et prêtes à migrer plus tôt, contrairement aux années de chasse où leur engraissement est plus long et perturbé par le dérangement.


Stress, survie et nouvelles méthodes de suivi

Les oies sont sensibles à de multiples facteurs de stress. Les travaux de Frédéric Letourneux ont montré que le port de colliers de suivi réduisait le taux de survie, mais seulement depuis l’instauration de la chasse printanière.


Depuis, l’équipe privilégie des prototypes de bagues intelligentes ultralégères pour limiter les effets négatifs sur les individus.

Par ailleurs, d’autres recherches (Maëliss Hoarau) ont confirmé que l’engraissement accéléré, induit par la corticostérone, permet aux oies de migrer quelques jours plus tôt — un facteur important pour leur cycle de reproduction.


Conséquences sur la reproduction et l’écosystème arctique

Même bien engraissées, les oies ne se reproduisent pas automatiquement. Les stresseurs rencontrés au sud influencent leurs décisions de reproduction en Arctique.

Ainsi, Thierry Grandmont a montré que des oies capturées et maintenues deux jours lors de leur halte à l’Île-aux-Oies migraient normalement mais décidaient plus souvent de sauter une saison de reproduction. Chez une espèce longévive pouvant dépasser 20 ans, cette stratégie permet de préserver l’énergie pour les années suivantes.

Ces choix reproductifs ont des impacts en cascade sur l’écosystème. Par exemple, une bonne reproduction des oies entraîne une plus grande disponibilité d’œufs pour le renard arctique, modifiant la densité des renards et affectant d’autres espèces comme le Pluvier bronzé.

De plus, la dynamique des populations de lemmings, proies alternatives des renards, influence aussi directement le succès reproducteur des oies, et dépend elle-même de prédateurs comme l’hermine.


Références scientifiques

  • Bolduc B. et al. (2025). Seasonal role of a specialist predator in rodent cycles: Ermine–lemming interactions in the High Arctic. Ecology, 106(1), e4512.
  • Grandmont T. et al. (2023). Should I breed or should I go? Functional Ecology, 37(3), 602–613.
  • Hoarau M. et al. (2022). Corticosterone: foraging and fattening puppet master in pre-breeding greylag geese. Physiology & Behavior, 246.
  • LeTourneux F. et al. (2021). COVID-19-induced reduction in human disturbance enhances fattening of an overabundant goose species. Biological Conservation, 255.
  • LeTourneux F. et al. (2022). Evidence for synergistic cumulative impacts of marking and hunting in a wildlife species. Journal of Applied Ecology, 59(11), 2705–2715.